De l’importance du choeur

La tragédie grecque était en fait un concours de choeur, une cérémonie rituelle dans lesquels le chant a une importance très grande.  Les chœurs offrent leurs chants à Dionysos au nom de la cité. Entre les chants du chœur, il y a les épisodes, étymologiquement les chants en plus. Or, dans les mises en scène modernes de ces pièces, les épisodes sont devenus toute la tragédie.Pourtant ce sont les choeurs qui constituaient à Athènes l'essentiel du rituel, l'essentiel du spectacle. Le choeur, composé de jeunes Athéniens, est placé entre le public et les acteurs. Ils chantent pour et au nom de la cité, de sorte que la seule identification possible est entre les spectateurs et les choreutes en tant que chanteurs rituels. Le public est en empathie avec lui et avec lui seul. S'il se réjouit, il se réjouit aussi emporté par les chants joyeux, s'il chante en sanglotant un deuil déchirant, le public pleure avec lui. La multiplication des meurtres et suicides permettait la multiplication des chants de deuils et « la tragédie dans sa globalité est une fête des larmes ». La musique antique avait pour but de renforcer cette action du chant sur l'âme des spectateurs. Les énoncés non chantés avaient pour fonction de justifier la valeur affective des parties chantées. La primauté est donnée aux émotions.L'action tragique est donc un duel entre le chant et la parole jusqu'à ce que la musique l'emporte en consommant la mort ou la défaite des personnages ». Par conséquent, il faut étudier les tragédies dans leur globalité, avec une partition verbale, une partition musicale, et une partition gestuelle. Dans l'étude d'une tragédie on ne peut séparer paroles, chant, poésie, et musique. Le théâtre grec est sonore, il ne faut pas l’oublier.

De l’importance du masque

Les tragédies grecques aujourd’hui sont jouées sans masque et l’acteur.rice utilise son visage et corps pour donner l’illusion de la réalité, il.elle ne joue qu’un personnage. Il.elle incarne leur personnage, lui donne de l’humanité. Le masque, dans l’Antiquité, construisait au contraire une figure théâtrale et non une illusion de la réalité.L'acteur portait un masque fait de bois et de plâtre , un masque rigide. Ce masque avait des yeux ,1 nez et une bouche. Il était surmonté d'une perruque et d'une coiffure. Il laissait passer la voix mais c'était donc un visage inexpressif et figé. Le terme qui désigne le masque en grec ancien est prosoponet signifie aussi le visage, ce qui fait du masque de théâtre une face anthropomorphe mais immobile. Au théâtre, comme le visage humain, il permet la parole face à face soit que l'acteur s'adresse à un autre acteur dans le dialogue soit qu'il s'adresse au public, mais il a perdu sa fonction expressive. Le public peut entendre dans la voix de l'acteur les sentiments du personnage, mais il ne voit rien sur son masque. L'acteur ne joue donc qu’avec sa voix. Il est en porte-voix. Françoise Frontisi Ducroux avait même émis l'hypothèse que le public voyait en imagination ce qui était dit et projetait une image sur ce masque. Le jeu de l'acteur avec son masque n'est pas un spectacle visuel mais un dispositif vocal qui permet de passer du il au je. Il ne joue pas plus l'action avec son corps qu'il ne la joue avec son visage. L'acteur ne joue pas au sens moderne la fiction qui est racontée. L’acteur réalise ce qui est sonore. Le masque ne donne pas à voir un personnage. C'est un embrayeur énonciatif qui le donne à entendre. Il n'y a pas d'illusion théâtrale, mais une réalité de la musique c'est à dire une réalité des sentiments.

Ainsi, le texte n’est plus à l’origine de la mise en scène mais se trouve installé dans un système spectaculaire autonome qui lui préexiste, le « jeu ». Trop longtemps, le théâtre antique a été considéré comme de la littérature, ignorant qu’il était codifié et sonore.

Exemple d’activités proposées aux élèves pour travailler sur cette question des écarts. Les Perses  d’Eschyle, 472 av. J.-C. Jean Prat, Téléfilm, 1961, extrait de 3mn33

https://pegasus-pedagogie.web.ac-grenoble.fr/file/eschylelespersesjeanprat1961extraitchoeurmp4   Agamemnon d’Eschyle Olivier Py, 2008, théâtre de l’Odéon, extrait de 3mn32 https://pegasus-pedagogie.web.ac-grenoble.fr/file/eschyleagamemnonolivierpy2008extraitmp4   Festival d'Avignon 2018 – Thyeste – Thomas Jolly - extrait https://pegasus-pedagogie.web.ac-grenoble.fr/file/festivaldavignon2018-thyeste-thomasjolly-extraitmp4   DIDO AND AENEAS Henry PURCELL 1689 Peter Maniura avec Maria Ewing and Karl Daymond 1995-Hampton Court House, opéra baroque filmé, 3mn32 https://pegasus-pedagogie.web.ac-grenoble.fr/file/purcelldidoandaeneasextraitmp4

Confrontation de trois extraits vidéos qui montrent des différences de mise en scène et des différences de conception des personnages.

1. On demandera aux élèves de comparer les mises en scène proposées : quels points communs ? quels écarts ? 

2. On peut présenter ici images de masques et parler de ce que cela ne manque pas d’entraîner dans le jeu des acteurs. On évoquera alors avec eux la différence entre une persona et un personnage.

3. En prolongement, on étudie avec eux des listes de personnages + dans Dupont p.119 -1938-  et dans son édition moderne -de 2001- : comparez ces listes, quelles sont les ressemblances et leurs différences ? comment expliquez-vous ces différences alors que ces tables de personnages correspondent bien à une même pièce ? comment expliquer le choix du vocabulaire dans chacune de ces listes ? 

+ liste personnages de Molière (liste Amphitryon) : comparez-la aux listes de personnages de Florence Dupont. Que remarquez-vous ? >> cela fait ressortir le fait qu’on a construit ces listes selon les normes du théâtre classique. C’est une fabrication destinée à donner l’illusion d’une parenté.

On finit par une explication magistrale : ces listes de personnages sont fabriquées artificiellement à partir des didascalies présentes dans les manuscrits anciens, mais visent surtout à plaquer sur ces textes les normes éditoriales du théâtre classique pour renforcer l’illusion d’une parenté évidente entre les mondes anciens et modernes. Il faut se méfier car on ne renvoie pas aux mêmes conceptions du théâtre.

3. Vous semble-t-il possible de mettre encore en scène des textes antiques et de provoquer de l’émotion chez les spectateurs ?

4. A quel type de spectacle contemporain pourrait le plus vous faire penser ces spectacles antiques ? Citez des exemples concrets de spectacles que vous connaissez.

Ce travail peut se faire soit sous la forme d’un travail très guidé, en classe, au collège, soit sous la forme d’un portfolio au lycée.

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